Ah, une discussion sur le Je et le Jeu comme on les aime
Alors, par rapport à la grille proposée, je répartis mes points comme un MJ que beaucoup pourront considérer comme un "preneur de tête" (mais j'ai pourtant laissé de bons souvenirs en club, comme quoi, hein, y'a plein de masos dans le JdR

)
Voie de la Puissance Bourrine : 1
Même si j'ai à ma table des joueurs qui rêvent de puissance et/ou de bourrinage, je leur propose plutôt un autre challenge, généralement sous forme de dilemme éthique (dont la forme la plus simple pourrait être : Jusqu'où irai-je pour assouvir mon désir ?)
Voie de la Complexité (tactique) : 3
Lorsque le défi physique est inévitable, j'applique un vieux précepte Runequestien (ou Ravenloftien) : on ne combat pas sur le terrain de l'ennemi, ou alors, on risque vraiment de s'en prendre plein la gueule.
Mes PNJ / Monstres n'ont, d'aussi loin que je me souvienne, jamais eu envie de mourir, encore moins de servir de marchepied à des arrivistes voulant s'offrir du pex à peu de frais...
Là encore, le principe est simple et ses déclinaisons sont innombrables.
Voie de la Spécialité : 4
J'ai quelques thèmes de prédilection et le one-shot est très rare chez moi. Je n'ai quasiment maîtrisé que des campagnes et joué à des campagnes (de 2 à 7 ans).
Quant à mes thèmes, ils sont justement d'interroger la connexion entre le joueur et le personnage et quelque part, de faire du "jeu" un moyen pédagogique de s'interroger sur ce qui fait qu'on aime ce genre de jeu.
Pas de psycho lourdingue ou d'analyse de comptoir, hein, simplement, j'aime à croire que depuis qu'on m'a appris à entasser un cube sur un autre, à mettre le rond dans le trou rond, chaque jeu auquel j'ai joué m'a appris quelque chose (à l'exception notable de nombreux jeux informatiques, qui ont choisi de se départir de cette fonction fondamentale).
De ce fait, les dilemmes moraux, éthiques ou l'ennemi intérieur sont des thèmes de prédilection et j'ai presque toujours, en marge, en parallèle, en petites touches discrètes, ces questions romantiques à portée de main. Qu'est donc le vengeur une fois sa vengeance accomplie ? Qu'est donc l'amnésique une fois sa mémoire retrouvée ? Qui est le pire ennemi du Roi de toute chose ?
Voie du jeu d'acteur : 5
Corollaire de cet espace collectif où la question intérieure (psyché) est tout aussi déterminante que la question extérieure (narcisse), j'accorde une grande importance au roleplay. Non qu'il faille forcément avoir une tournure de phrase exigeante ou érudite, une éloquence parfaite ou déclamer ses poésies quand on joue un barde, mais plutôt de conserver à l'esprit que le personnage doit rester cohérent par rapport à ce qu'il retire de l'histoire que nous participons tous à lui faire vivre.
L'incarnation du rôle n'est donc pas seulement une affaire d'apparence (de théâtre ou de cinéma) ou d'aisance à parler à une table, mais l'idée que le personnage a une vie qu'il faut accepter de lui laisser vivre, même si cela peut, parfois, signifier la fin de l'histoire.
De sorte qu'avec cette définition-là, j'ai parfois eu de magnifiques roleplays de joueurs pourtant très discrets à la table, tandis que j'ai souvent été déçu par le peu d'intérêt de beaux parleurs qui n'ont pas souvent été capable de faire suivre d'actes courageux leur discours sur l'engagement...
Un des plus beaux compliments qui m'ait été adressé par un joueur : "Quand j'y pense, y'a vraiment un moment où je me suis rendu compte qu'il ne prenait pas du tout la direction à laquelle j'avais pensé au départ... C'était vraiment pas ce que je voulais pour lui. En fait, c'était même mieux."
Voie du Conteur : 4
Je n'aime pas vraiment les ambiances totalement épiques. Il y a quelque chose de caricatural ou de simpliste qui me déplait dans la représentation qu'on se fait de l'épique (sûrement parce que de nos jours, on a plus souvent vu Star Wars que lu l'Odyssée).
Je reste très marqué par l'idée qu'on ne se décrète pas héros. Ce sont les autres qui voient en nous un héros. Et, en général, le héros refuse cette appellation.
On est donc très loin du héros autoproclamé qui se considère héros parce que sa capacité de destruction a atteint un degré inégalé. La bombe atomique est-elle un héros ? Avant ou après Nagasaki ?
Autrement dit, la campagne est pour moi l'outil par lequel le joueur va confronter son désir de reconnaissance (la quête de l'héroisme) à l'expérience de son personnage (la quête héroïque). Le choix d'Achille, outre la vie brève, la gloire et la guerre, contient aussi la mort et les larmes. Mais les larmes du héros n'entament en rien sa puissance, au contraire, elles sont l'eau qui étanche sa soif et lui restitue sa force.
Le héros, donc, c'est celui qui ne souhaite pas l'être, mais qui le devient en surmontant les épreuves, tout en acceptant le fait qu'elles sont la conséquence de ses choix et non la faute d'autrui, et qui ne peut être reconnu que par la communauté et non par lui-même.
Cette représentation du héros modifie considérablement mon approche des scénarios officiels de certains jeux de rôles et constitue d'ailleurs un de mes thèmes de prédilection, qui résume et englobe d'ailleurs toutes mes raisons de faire jouer (cf. Spécialité).
Garder à l'esprit cet axe me permet d'improviser très souvent et très librement. Je dis souvent à mes joueurs : "Vous êtes responsables de vos personnages, moi, de tout le reste". Il n'y a donc aucune porte fermée, aucune voie interdite ou mur infranchissable dans mes parties et je mets même un point d'honneur à improviser le décor, l'ambiance ou le PNJ qui ouvriront parfois tout un pan d'une campagne, simplement parce que je me refuse à enfermer les personnages dans ce que moi, j'aurai préparé.
Observateur : 2
Deux et non un, parce que parfois, j'ai des situations dans mes scénarios, notamment les impros, où je n'ai pas sous la main la solution "idéale". Elle se construit en direct, d'après les cogitations, hypothèses ou actions des joueurs et de leurs personnages. Souvent, cela me permet de placer au mieux le curseur entre ce qu'ils appréhendaient le plus et ce qu'ils souhaitaient le plus.
A tel point qu'en leur offrant parfois une victoire totale, conforme au moindre de leurs désirs, tous se demandent quel sera le prix d'un tel triomphe...
Instigateur : 4
Evidemment. Quoique l'idée de pousser les joueurs hors de leur zone de confort ne soit pas toujours une motivation en tant que telle, c'est plutôt la question de ce que ça apporte à l'histoire. D'ailleurs, sur ce plan, Esteren est formidable, parce que placer la question de l'émotion au centre du projet narratif, c'est quand même une sacrée claque à pas mal de vieux routards minimaxeurs qui ont finit par se convaincre que leur façon de jouer était la seule bonne

Là où je ne crois pas recouper la catégorie présentée, c'est dans le rythme des parties. La réflexion, voire l'introspection, y sont souvent sollicitées. J'aime que mes joueurs se posent vraiment la question de ce que ça fait, pour un jeune à peine sorti du 3e cercle, de toucher la matière molle des intestins d'un autre humain au travers de sa lame tout en l'entendant crier sa douleur et son désespoir de mourir de sa main...
Cliché, bien sûr, mais toujour efficace pour effacer une partie du décalage entre le rapport à la mort dans notre société de joueurs et dans la société des personnages.
A mon humble avis, il manque la voie pédagogique dans ces différentes catégories. Mais bon, l'auteur est américain et je sais combien l'approche vieux continent (individu, roleplay, narration) est différente de l'approche nord-américaine (team building, action, tactique). Ce serait d'ailleurs rigolo de jouer une partie de SoE, un de ces quatre. J'y penserai pour mon prochain voyage à Montreal