"Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Elwe
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Elwe » 08 août 2013, 09:42

Le terme de destin a plusieurs définitions.
Effectivement, si on considère la définition historique qui nous vient des tragédies grecques, on a affaire à une fatalité, un Destin qui a déjà réglé notre sort par avance. Le mythe d’Œdipe est un bon exemple.
Mais le mot destin désigne aussi, selon le dictionnaire Larousse, "l'existence humaine en générale, le sort", ou "l'ensemble des évènements qui forment la trame de la vie humaine". Cette dernière définition correspond à ce que tu appelles le karma (car le karma est en fait différent, plus spécifique, les évènements arrivant étant liés aux actions dans une vie antérieure).
Mais c'est bien ainsi que je parlais du destin : l'ensemble des évènements sans fatalité inéluctable.

Concernant les deux types de héros que tu as décrit, il s'agit là encore d'une question de définition, ce que tu as souligné.
Toujours accompagné de mon fidèle Larousse, le héros se définit de deux façons : c'est le personnage principal d'une œuvre, d'une aventure ; c'est un personnage qui se distingue par sa bravoure, son courage exceptionnel, etc.
On peut donc avoir des héros normaux mais qui sont appelés ainsi parce qu'ils ont le "beau rôle" dans une histoire. Mais les qualifier tous deux de héros est ambigu. Il faudrait plutôt les désigner comme personnages principaux (cas n°1) et héros (cas n°2).
Dans un JdR d'enquête, les PJ pourraient très bien n'être que des personnages principaux sans atteindre le rang de héros.

Pour revenir sur les ruptures dans les historiques, je préciserais une petite chose (ben oui, on a les idées plus claires le matin à 10H qu'à minuit ! XD ) : la rupture sera toujours présente, même dans les historiques les plus tranquilles. La différence vient du moment auquel intervient cette rupture.
Dans les historiques dramatiques, elle est déjà arrivée. Le PJ a répondu à son choix il y a un moment et sa vie a basculé depuis un certain temps déjà. L'aventure est devenue en quelques sortes son quotidien, bien qu'on puisse ne jamais vraiment s'y habituer. Les joueurs dans ce cas là préfèrent explorer la personnalité d'un personnage qui est le produit de ce choix, comment il a été transformé, comment il a répondu à d'autres situations à partir de l'expérience acquise lors de ce moment crucial.
Dans les historiques les plus tranquilles, la rupture n'a pas encore eu lieu. Pourtant, elle va nécessairement arriver, par l'intermédiaire du MJ. En effet, à moins que le MJ ait envie de raconter des histoires plutôt banales, il va devoir faire partir ce "pantouflard" à l'aventure, et pour ce faire introduire une rupture avec sa vie quotidienne, un élément étranger assez fort pour lui faire faire le grand saut. Il est possible que cette rupture soit douce, comme je l'avais déjà décrit, mais elle sera bien présente. Les joueurs dans ce cas là préfèrent surement explorer une personnalité soumise au changement, au moment où cela arrive.
Les ruptures peuvent se faire sans morts, évidemment, mais cette option a l'avantage (!) de vérouiller totalement certaines réponses au choix. Parce qu'on ne revient pas de la mort (enfin en théorie - les drèins ne comptent pas ! ^^ ), on ne peux rien envisager avec ceux qui ont été tué. Le choix va être plus orienté que dans d'autres situation, obligeant le personnage a choisir un style de vie qu'il n'aurait pas été obligé de suivre dans d'autres cas. Sa psychologie sera différente de celle avec un historique garanti "sans morts ajoutés".
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Message par Iris » 08 août 2013, 10:10

Hello !

Encore un zoli dodu post ! :)

Pour la différence de psychologie avec "mort ajoutée" vs. "sans"... je m'interroge... Certes, indiscutablement, ça oriente les options (ça sabre dedans)...

... mais en dehors de ramasser du trauma et d'éviter les interactions avec les défunts (dans une perspective matérialiste où les morts fichent la paix aux vivants !)... quelle valeur ajoutée vois-tu dans l'historique "à mort" ?

Pourrais-tu développer :
Sa psychologie sera différente de celle avec un historique garanti "sans morts ajoutés".
... d'après toi y'a-t-il un point commun à ces historiques (et du coup à ceux sans cadavres ;) )... En gros, une typologie, ... une tendance... une base de profil... ?



PS : si d'autres ont des avis / impressions, il ne faut pas hésiter à intervenir ! Mort ou pas dans l'historique ? Si oui, pourquoi ? Quel ajout ? Quelle utilité ? ... ou l'inverse... ;)
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Elwe » 08 août 2013, 10:36

Je ne pense pas que l'on puisse vraiment parler de valeur ajoutée. Un historique avec morts n'est pas mieux ou plus intéressant qu'un historique sans morts. Mais je vois ce que tu veux dire.

La confrontation à la mort fait partie de ce qu'on appelle les "situations limites". Ce concept, à la frontière entre la philosophie et la psychologie (j'avais oublié l'auteur de cette théorie mais Wikipédia me dit qu'il s'agit de Karl Jaspers), désigne une situation dans laquelle un évènement va forcer le sujet à se confronter à une notion existentielle, comme l'altérité, la fragilité ou l'insignifiance de l'existence humaine, etc.
La mort, par tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle symbolise, est la plus puissante des situations limites (elle l'est d'autant plus que les morts sont des proches, nombreux ou que leur mort est horrible). Elle nous renvoie à notre propre finitude, à notre vie et donc à ce qu'on veut en faire, au sens (ou au non-sens) qu'elle a ou que l'on voudrait lui donner. La mort va forcer le sujet à se confronter à elle et à prendre position, à réfléchir à ses croyances et à son existence en général. Ces expériences sont des moments particuliers de la vie d'une personne et ont souvent un impact significatif sur l'existence du sujet, notamment dans la construction de sa personnalité.
Je ne pense pas qu'il y ait une typologie car on a tous une manière unique de comprendre et de se positionner face à ces situations limites. Mais ceux qui ont vécu la confrontation face à la mort sont peut-être allé plus loin dans leurs réflexions et, ce qui nous intéresse ici, dans leurs choix. Pareilles confrontations peuvent plus facilement et plus largement remettre en cause les conceptions et les points de vue du sujet et l'amener à un changement plus profond, plus fort que lors d'évènements moins "importants". Elles peuvent tout autant renforcer les convictions ou l'aveuglement/la fuite du sujet. Leurs effets peuvent être perçus tant comme positifs que négatifs, suivant la réaction du sujet.
Dernière modification par Elwe le 08 août 2013, 10:48, modifié 2 fois.
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Arthus » 08 août 2013, 10:43

Purée, la classe, Elwe!

Tu est parvenu de manière élégante à exprimer clairement les idées que je peinais à exposer de manière compréhensible! Tu vas même plus loin, en élargissant le champ de réflexion!

Je trouve ça génial!

Et il va de soi que je suis parfaitement d'accord avec ce que tu as écrit! :D

D'ailleurs, ton exposé m'a amené à m'interroger sur une autre notion fondamentale d'une histoire, indissociable de celle d'historique d'un personnage : l'aventure (enfin, ce n'est peut-être pas le bon mot, mais je n'ai pas trouvé mieux ^^")!

Pour en revenir à la notion de destin (dans le sens de la définition d'Elwe), on pourrait dire que tous les pjs ont pour destin de vivre une aventure : c'est à dire de vivre quelque chose qui sorte de l'ordinaire (soit que ce quelque chose soit extraordinaire par rapport à la vie du commun des mortels, soit que ce quelque chose soit extraordinaire par rapport à son propre quotidien).

En complément, on pourrait également définir la notion d'aventure comme "ce qui est digne d'être raconté".

Donc, on pourrait dire que ce qui fait des pjs des personnages principaux, en dehors du simple fait qu'on soit dans une partie de jeu de rôles, c'est :

- soit son historique qui l'amène à l'aventure
- soit l'aventure qui va bousculer son historique

Il est possible de faire des historiques sans morts et tout à fait intéressants, et de vivre des aventures palpitantes avec ces deux cas de figure.

Exemples concrets :

- Dana Scully dans X files : historique extraordinaire (être dans une section spéciale du FBI) l'amenant naturellement à l'aventure

- Sam Gamegie dans le seigneur des anneaux : un jardinier se trouve au bon endroit, au bon moment pour être happé par l'aventure, qui vient bousculer son quotidien.

Pour en revenir aux historiques qui mènent à des aventures, je pense que le plus important est de prévoir un potentiel qui soit naturellement générateur d'aventures. Ce potentiel peut être très simple, et ne nécessite pas forcément d'utiliser la grosse artillerie comme la prophétie ou les massacres de masse.

Etre le seul médecin d'une communauté reculée suffit à faire du pj une personne à part, doté d'un potentiel d'aventure. Idem pour le soldat, qui pourra être forcé à intervenir dans une situation de menace parce que c'est son job, ou qui pourra être envoyé en mission par un commanditaire. Pas besoin de passer par des dizaines de massacres, une enfance malheureuse ou autre traumas intenses pour justifier de tels historiques : le soldat s'est engagé parce que cela lui permet de faire vivre sa famille tout en la protégeant, le médecin aime ce métier (ou a voulu faire comme papa), etc...

Pour le reste, je suis à 2000% d'accord avec l'analyse d'Elwe, et plus précisément avec sa notion de rupture... Encore bravo pour cette superbe analyse!!!

Edit : je me rends compte que le temps que j'écrive ce post, deux posts se sont rajoutés... Je rajoute donc une précision, pour faire le lien :

Je l'ai déjà dit plus haut, mais "la mort" constitue en fait une sorte d'artillerie lourde permettant de se créer facilement un historique extraordinaire, au même titre que la prophétie ou le super statut de la mort (du type "mon personnage est le fils du roi").

C'est un extrême, et prendre l'extrême est une technique facile, car elle garantit un résultat, en amenant naturellement certaines situations ou questions (l'analyse d'Elwe sur ce point est à nouveau remarquable, d'ailleurs.)

Donc en un sens, la seule valeur ajoutée des morts par rapport aux autres historiques est que cet élément garantit de base certaines choses pour le joueur. Cela lui garantit d'être extraordinaire et profond dès la création de son personnage, et ce de manière irréversible (comme l'a dit Elwe, on ne revient pas de la mort).

C'est peut-être un moyen de se rassurer, en se donnant une assurance d'être au centre de l'intrigue, sous les feux des projecteurs?

Edit 2 : désolé du pavé! ^^"
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Message par Nico du dème de Naxos » 08 août 2013, 13:14

Si vous ne connaissez pas encore, jetez un œil à la célèbre théorie de Joseph Campbell sur le Voyage du Héros :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Voyage_du_h%C3%A9ros

Ca a servi a beaucoup de monde, ca sert encore, et même si cette théorie a été abondamment commentée et critiquée, elle donne une vision claire de ce qu'est un héros... autrement dit, un personnage joueur.
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Arthus » 09 août 2013, 10:03

Merci pour le lien, Nico! Je ne connaissais pas cet auteur, mais j'ai effectivement lu beaucoup de livres et vu beaucoup de films (voire joué à beaucoup de jeux vidéos) dont la trame repose sur ce principe.

Cela dit, je me demande si ce schéma ne correspond pas à une certaine fantasy des années 80 - 2000 qui passe lentement de mode actuellement (le récit initiatique).

Actuellement, avec le phénomène "Trône de fer", j'ai l'impression que la "mode" actuelle est plutôt au récit sombre et non manichéen, avec des personnages déjà adultes qui ont leur propre vécu et leur part sombre. Avec une frontière floue, voire inexistante, entre les "gentils" et les "méchants", et des charettes entières de morts tragiques auprès des personnages appréciés (surtout les gentils à principes, qui très souvent meurent parce qu'ils ont ces principes qui se retournent contre eux).

Cette "mode" (qui suit directement l'ère "Harry Potter", qui fait la transition entre récit initiatique et les récits plus sombres d'aujoud'hui selon moi) aurait une influence concrète pour le jeu de rôles, puisque le récit et les personnages du trône de fer (au autres, comme le Witcher) semblent souvent servir d'inspiration lors de la création de personnages joueurs ou non joueurs, ainsi que dans certains scénarios.

Du coup, se pourrait-il que le nombre de morts dans les historiques ne soit au final partiellement le résultat d'un effet de mode, vécu plus ou moins consciemment par les joueurs et meneurs de jeu de rôles?

Autrement dit, les preux chevaliers Arthuriens et les jeunes apprentis boulangers marqués par la prophétie ne sont-ils pas devenus un peu has been, cédant leur place aux héros adultes badass et torturés, orphelins, ayant assisté au massacre de leurs proches, et/ou ayant subi diverses formes de sévices qui expliquent leur personnalité sombre et un tantinet désabusée?

Que pensez-vous de cette théorie?

NB : je tiens à préciser que l'expression "effet de mode" ne doit pas être perçu dans un sens négatif. Pour ma part, j'y vois plutôt une référence appréciée et partagée par tous, ce qui fait que s'y référer, outre les avantages que cela procure (le background a des chances d'être apprécié par tous, à commencer par soi-même; on a le confort d'être dans l'air du temps; une telle référence est connue de tous, ce qui procure à la fois un sentiment d'appartenance à une communauté et permet une compréhension immédiate,...), aura tendance à être vécu comme "naturel".
Dernière modification par Arthus le 20 août 2013, 17:27, modifié 1 fois.
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Message par Iris » 09 août 2013, 10:44

Hello !

1. Rupture : effectivement, ton explication Elwe est très élégante !

2. Effet de mode : ton analyse Arthus me paraît pas mal du tout également :)

3. Observations à partir de ces données : si l'historique est trop ... "riche / profond / tourmenté / ..." ... je me demande si ce n'est pas la campagne / chronique derrière qui y perd.
  • le PJ a déjà tant vécu de choses, comment peut-il encore s'émouvoir ? quelque part, ça encourage à proposer "pire", façon variante narrativiste d'un porte-monstre-trésor où on passe du gobelin à l'ogre puis au dragon... et là, en fait, le PJ Niveau 1 explique dans son historique qu'il a déjà latté un démon majeur... du coup, les enjeux que le MJ propose comme démarrage paraissent fades en contraste
  • est-ce qu'un personnage si... "mature" ... qu'il a déjà tout vu, tout testé, tout vécu... n'est pas quelque part "fini" pour le jeu ? quel est encore son potentiel d'évolution psychologique ? comment faire pour qu'il ait des motivations s'il est blasé d'entrée de jeu et que "tout est pourri" ? ... on peut toujours "survivre" un certain temps, mais ça devient barbant, non ? de courir l'aventure juste pour survivre ?
  • si j'ai un PJ "normal" (= tout frais, sans historique à rallonge plein d'horreurs), comment le faire cohabiter avec le PJ "dark" sans que le premier soit mis en position d'infériorité au moins psychologique "t'es un bleu, moi j'ai déjà vu ça et ça"... ?

... en somme, je m'interroge sur les effets pervers du trop plein de morts & de tourments sur un personnage...
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Message par Nico du dème de Naxos » 09 août 2013, 10:44

Arthus, je trouve ton raisonnement frappé au coin du bon sens, et je peux avouer sans honte que le trône de fer influence actuellement fortement ma manière d'écrire et de construire mes intrigues.

Ce passage d'une fantasy héroïque à une autre fantasy plus sombre est effectivement un phénomène puissant, mais sans doute cyclique. Car le besoin se fera un jour sentir, en temps de crise, de voir un peu plus de ciel bleu. Et d'ailleurs, j'émettrai un bémol sur le trône de fer.

[Attention:SPOILER massif inside]






















La plupart des personnages que George RR Martin tue depuis le début du Trône de Fer sont des personnages dont la mort sert l'intrigue : celle d'Eddard Stark permet de lancer les hostilités, celles de Catelyn et Robb aux noces pourpres servent de point central à l'horreur du récit en en concentrant toute la substance.

Sinon, en vérité, il y a assez peu de personnages centraux qui disparaissent (Robb n'étant d'ailleurs pas un personnage par les yeux duquel le lecteur voit l'intrigue). Le sort de Brienne et de Jaime reste toujours en suspens à la fin du tome 5 et seule la mort de Jon (mais l'est-il vraiment ?) constitue vraiment à mon sens un choc pour le lecteur.
Les morts de Tywin Lannister et de Kevan Lannister sont plutôt inattendues, mais là encore, ce ne sont pas des personnages principaux.

Plus le temps passe, plus j'ai l'impression que l'auteur a du mal à tuer de nouveaux personnages. On verra ce que la suite nous réserve, mais j'ai noté une inflexion de la série vers des épisodes moins malheureux. Mais peut-être n'est-ce que pour préparer la l'apothéose à venir ?
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Arthus » 09 août 2013, 11:01

... Et j'enchaîne directement sur une autre théorie, qui est peut-être un autre élément de réponse à la question "pourquoi tant de morts dans les historiques des pjs?".

Cette tendance à accumuler les morts et tragédies dans les historiques des personnages ne relève-t-elle pas aussi partiellement d'un mécanisme de défense?

Pour résumer, le joueur sait en général qu'Esteren est un monde dur, où son personnage a toutes les chances de s'en ramasser plein la tronche et de voir sa santé mentale être réduite en charpie.

Dans ce contexte, ajouter une tragédie bien traumatisante dans un historique n'est-il pas un moyen de minimiser l'impact de tragédies futures pour son personnage?

En effet, on ne peut plus faire souffrir le personnage en lui enlevant ses proches, car c'est déjà fait (je me souviens d'ailleurs avoir déjà lu quelque part que ce phénomène expliquait la recrudescence des personnages orphelins : "si je n'ai plus de proches, le mj a moins ou plus de prises pour faire souffrir mon personnage"), et d'autre part permet de minimiser l'impact d'une tragédie future ("j'ai déjà vu ma famille entière massacrée, et j'ai appris à vivre avec. Dans ce contexte, la découverte d'un banal cadavre anonyme sur le bord du chemin est-elle encore censée m'émouvoir?").

Voilà...

Toutes ces réflexions m'amènent à penser que l'explication du nombre élevé de morts dans les historiques des personnages est multifactorielle :

- effet de mode ("le trône de fer"), sans doute partiellement influencé par la situation culturelle et économique actuelle (on est pas vraiment dans une phase d'enchantement du monde actuellement)

- mécanisme de protection

- mimétisme (les prétirés ont aussi leur lot de tragédies, du coup faire un personnage qui leur ressemble permet d'être "dans le ton" du jeu)

- désir de se différencier du commun des mortels, d'être spécial

- désir de ménager à son personnage un potentiel scénaristique (induit par le phénomène de rupture décrit par Elwe)

- ...

Qu'en pensez-vous?
Dernière modification par Arthus le 09 août 2013, 12:27, modifié 2 fois.
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Re: "Et toi, combien de morts dans ton historique ? "

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Message par Arthus » 09 août 2013, 11:11

Je sépare mes réponses en plusieurs posts pour éviter l'effet pavé...


NdddN : Je partage pleinement ta réflexion selon laquelle cette période plus "dark" est cyclique. Elle est même probablement liée au contexte socio-économique actuel. On est plus dans les Golden Sixties, ou dans la période post crash des années 70, où l'on rêvait d'un avenir idéal ou meilleur après la tempête...


IRIS : L'analyse du post précédent reprend ta dernière réflexion, car tu as posté en même temps que moi.

Cela dit, je pense avoir la réponse à ta question :
est-ce qu'un personnage si... "mature" ... qu'il a déjà tout vu, tout testé, tout vécu... n'est pas quelque part "fini" pour le jeu ?
J'ai lu il y a quelques années un excellent cycle de fantasy, malheureusement très difficile à se procurer en français actuellement : "les monarchies divines" de Paul Kearney.

L'un de ses héros correspond parfaitement à la quintessence de l'archétype "pj torturé" : sa ville a été réduite en cendres par une armée d'invasion, il doit vivre avec le fardeau d'être le seul soldat de la garnison de la ville (sur 8000) à avoir déserté comme un lâche et survécu, et en plus en faisant cela il a abandonné sa femme qui était l'amour de sa vie (pour tout dire, le livre commence lorsqu'il espère qu'elle est morte, parce que sinon il sait qu'elle sera violée, torturée, voire transformée en esclave sexuelle...)

Difficile de faire plus dark, et en plus le livre fait bien comprendre que ce personnage est mort intérieurement dès le début du livre.

Et justement, c'est cette mort intérieure qui donnera à ce personnage la force de devenir le sauveur de sa nation, bien qu'il ne l'ait jamais voulu : il doit remplir son vide intérieur par quelque chose qui continue à le faire avancer. Ce quelque chose, c'est une cause : celle de sa nation qu'il doit sauver de l'invasion, mais aussi, peut-être, celle de sa rédemption (on y revient toujours ^^) par rapport à sa propre culpabilité.

Bref, ce héros torturé embrasse une noble cause non par devoir ou idéal, mais par culpabilité et besoin de donner un sens à ce qui lui reste de vie.

Autre point important de ce livre, on constate que même si ce héros se croit mort intérieurement, certaines choses peuvent encore l'émouvoir ou le blesser, et cette blessure est souvent plus tragique que pour un personnage "normal" : par le fait que la blessure est une surprise, et aussi par le fait que le personnage en a tellement bavé qu'une nouvelle blessure est vécue (par le lecteur) comme une injustice insupportable.

Donc non, un personnage torturé n'est pas "fini" pour le jeu : il a simplement un potentiel scénaristique spécifique (et doit être assez difficile à jouer, de surcroît.)

Et enfin, pour clore sur une de tes dernières questions, je pense que si une situation comme celle-ci se présente :
si j'ai un PJ "normal" (= tout frais, sans historique à rallonge plein d'horreurs), comment le faire cohabiter avec le PJ "dark" sans que le premier soit mis en position d'infériorité au moins psychologique "t'es un bleu, moi j'ai déjà vu ça et ça"... ?
C'est à mon avis

- soit que le joueur du pj "dark" n'a pas compris son rôle (un vrai mec tourmenté ne se sert pas de ses souffrances pour quelque chose d'aussi mesquin que "frimer devant un bleu");

- soit que le pj "dark" ne l'est pas encore assez : une réaction pareille peut être assimilée à un mécanisme de défense (je me donne des airs de dur pour cacher mes blessures sous une solidité apparente, et mettre une certaine distance avec autrui me protège des souffrances futures que pourrait causer un attachement trop grand), ce qui signifie que le personnage peut encore souffrir, le sait et le craint, plus que la moyenne des gens (puisqu'il sait ce que c'est...)

De plus, le pj "innocent" pourra avoir un rôle réellement intéressant et de tout premier plan pour le pj "dark et torturé" : il pourra être un facteur de reconstruction, en réenchantant les ruines fumantes que constituent l'âme du pj tourmenté.

De bons exemples pour ça sont les mangas Naruto et Bleach : combien de fois dans ces récits le héros ne "retourne"-t-il pas le méchant (devenu méchant uniquement à cause de son passé torturé, en général) par son optimisme, lui donnant une nouvelle raison de vivre?

Voilà... qu'en pensez-vous?
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