Le vieux prêtre lève les yeux du livre abimé par les intempéries… Il a mis bien du temps pour déchiffrer ces dernières lignes. Elles ont été écrites à la vas-vite, dans la peur. Une terreur religieuse. La crainte d’être sous l’emprise de… quelque chose. Il regarde l’aide qui attend silencieusement à quelques pas de lui :Cent vingt septième jour.
C’est étrange. Cette nuit encore elle était là. À quelques pas de moi. Étrange. Indescriptible. Inquiétante par son… absence. Je sais bien que je suis seul ici. Oui. Je le sais bien. Ce n’est pas pour rien que je me suis retiré dans cette grotte perdue au milieu de nul part… J’avais fini par m’y faire… Par m’habituer à sa présence. À son absence… Simple vision. Mais cette nuit elle ne s’est pas contentée de me regarder : elle m’a touché.
Je ne sais si je perds la raison. Ce qui est sûr c’est qu’à présent je doute. Je doute de ma foi. Je doute de cette piété qui m’a fait entamer ma retraite. Suis-je réellement digne ? Cette nuit je l’ai compris alors que ses caresses me faisaient perdre la raison : jamais mes péchés ne seront pardonnés.
Alors ? Alors quoi ? Je pourrais me complaire dans les plaisirs matériels… Mais à quoi bon ? Non… Je sais que tu es là. Non loin. Toujours. Et je sais que tu m’observe. Que tu me teste.
J’espérais échapper à ces tentations en m’exilant. En venant habiter ici… Loin de tout. De toute chose. Pourtant cette nuit. La cent vingt sixième que je passe seul ici… Cette nuit est venue la preuve : je ne suis pas digne.
Il est temps pour moi de quitter ce lieu… Raser ma barbe. Me laver… Et prendre la route. Seul je n’y arriverais pas. Si je dors encore ici cette nuit elle te prendra mon âme. Il faut que je fuie. J’ai attendu trop longtemps et les derniers lambeaux de ma raison m’abandonnent peu à peu. Elle est issue de mon esprit. Je le sais. Il ne peut en être autrement. Et pourtant je garde les marques de ses ongles sur ma peau.
C’est sans doute mes propres ongles… Dans ma folie… J’ai tracé des sillons sanglants dans ma peau… Il faut que ce soit ça. Je ne peux pas, je ne veux pas croire à… l’autre option. Tu es là. Tu me protège. Je n’en doute pas. Je n’ai pas le droit de douter.
Fuir. Oui : fuir. Fuir ma propre folie c’est tout ce qu’il me reste a faire. Retrouver la civilisation. Te retrouver. Je n’ai pas été assez fort. Je n’ai pas su surmonter les épreuves que tu m’as imposées… Mais de grâce… De grâce laisse-moi vivre. Ne me rappelle pas auprès de toi. Pas encore… Pas avant que je n’ai retrouvé père Johan. Pas avant qu’il m’ait libéré.
Puisse-t-il m’exorciser. L’arracher à mon esprit. Pour qu’à nouveau je puisse marcher sur le chemin de la rédemption.
Ce sont les dernières lignes que j’écrirais dans ce journal avant quelques jours. Je ne prendrais pas le temps d’écrire pendant le trajet. Je n’en aurais pas le courage.
- Où as-tu trouvé ça ?
- C’sont des chasseurs qu’ont r’trouvé l’écritoire qui l’contenait sur la crête. Z’ont pas trouvé d’corps.
- Il est peut-être encore en vie… Pauvre enfant… Pauvre Julian.
Il agite la main :
- Tu peux te retirer.
- Bien, père Johan…