Message
par Nico du dème de Naxos » 19 janv. 2016, 22:35
Pour tenter de répondre à Arthus sur le choix d'Agate de traduire la SRD, pas plus pas moins, et de son intérêt dans le paysage ludique actuel, je vais me fendre d'une tentative de ma façon de percevoir les choses. Ca n'engage que moi, mais ça permettra peut-être d'ouvrir la discussion sur ce qu'est D&D/AD&D.
D&D, les boîtes rouges et bleues, testées en CM1/CM2 furent un premier coup de cœur, une plongée fascinante dans un monde neuf empli de possibilités et qui se dévoilait alors que je venais tout juste, comme certains de mes camarades, de terminer la lecture du Seigneur des Anneaux. Un premier envoûtement aux effets durables. Des règles assez simples et qu'on se permettait de faire jouer simplement, une plongée directe dans la grande aventure. Mes premiers émois rôlistes.
ADD1 était un jeu étrange, que j'ai découvert au collège, en classe de 6e. Je n'y comprenais pas tout, et une aura de mystère planait sur le contenu du DMG et du Monster Manual que tenait entre ses mains omnipotentes le maître de jeu. Si je ne comprenais pas grand chose au contenu abscons des livres de règles, en revanche, notre maître de jeu avait compris ce qui comptait vraiment : l'Aventure avec un grand A, et les règles n'étaient là que pour décupler le plaisir de jeu, pas pour être respectées à la lettre (qui d'ailleurs était peu claire).
Vint avec ADD 2 le moment de sauter le pas et de devenir maître de jeu à mon tour. Je l'ai trituré dans tous les sens et ai passé, en tant que maître de jeu comme en tant que joueur, des moments formidables avec cette seconde édition, qui faisait énormément progresser le jeu depuis sa première édition, tout en me paraissant aujourd'hui assez ringarde et laide. ADD2 introduisait notamment les compétences, mais d’une manière assez horrible, que la version suivante, ADD3, corrigea plutôt bien, tout en restant assez simpliste en la matière.
DD3 me permit de faire jouer les meilleures aventures. Les livres étaient beaux, tout en couleurs, et beaucoup plus clairs, beaucoup mieux présentés, mais si les conseils au maître de jeu restaient peu nombreux. Je l’ai encore plus trituré que ADD2, et c’est l’édition qui m’a accompagné jusqu’à temps que je raccroche mon costume de maître de jeu. J’en conserve religieusement le tryptique.
DD4, dont j’ai apprécié la lecture, ne me permit pas de maîtriser de nouvelles parties, pour différentes raisons. Je pense que cette édition amenait pas mal de sang neuf, mais elle est restée mal comprise. Le Grümph en a longuement parlé et montré comment sa proposition radicalement différente de celle des éditions précédentes avait engendré une incompréhension chez ceux qui ne juraient et ne jurent toujours que par ADD.
Je suis ensuite passé à Pathfinder, convaincant au niveau de ses aventures, mais certainement pas au niveau de ses milliers de pages de règles et ses centaines de dons, sorts, etc. qui généraient des disparités mal maîtrisées entre les personnages. Beaucoup trop de choses et pas assez de magie. Un univers vraiment fourre-tout, à la manière des indigestes Royaumes Oubliés, qui ne présentait pas de direction en dehors de celles, cadrées, de ses campagnes, belles et plutôt bien faites.
Avec l’annonce de DD5 et de sa volonté d’aller vers la simplicité sans perdre ce qui faisait le sel du Grand-Ancien, je me suis dit : bingo ! On tient enfin le jeu dont j’avais envie. Et puis 2 ans se sont passés sans que l’on puisse traduire cette 5e édition. J’avais la rage ! Et puis soudain, comme un rayon de soleil perçant l’amoncellement de nuages grisonnants, l’annonce, la double annonce, tombe soudain d’une traduction de la SRD dont WotC vient de déclarer l’exploitation gratuite.
Et c’est là que le schmilblick commence :
- D’un côté Agate propose une traduction telle quelle de la SRD.
- De l’autre, BBE, une traduction de la SRD enrichie de 50% de contenus supplémentaires, dont beaucoup d’explications et de propositions ludiques supplémentaires pour exploiter à fond ce document de référence sur la base duquel a été construite la 5e édition de D&D.
Premier constat : on n’aura pas la véritable 5e édition des Règles avancées de Dungeons & Dragons, playtestée tellement de fois qu’on a cru qu’elle ne sortirait jamais. Et donc grosse déception de prime abord.
Et puis, je commence à réfléchir. Les playtests n’ont jamais évité d’écueils ludiques, surtout quand on parle d’un système destiné à simuler du médiéval-fantastique (en vérité du merveilleux médiéval prenant essentiellement appui sur Tolkien et les chevaliers de la table ronde : lisez l’excellent ouvrage d’Anne Besson sur le sujet, notamment sur ce terme de médiéval-fantastique, qui vient d’un gros contresens entre le mot anglais et sa signification dans la langue française. Mais je m’égare).
Et puis, je me demande : c’est quoi D&D/AD&D ? Pourquoi est-ce que j’ai toujours autant aimé ce jeu, que ce soit en tant que joueur qu’en tant que maître de jeu ? En tant que joueur : car c’était fun et que j’avais des gros points de vie, et qu’il y avait des objets magiques et des monstres à combattre. Oui, exactement pour ça ?
Et en tant que maître de jeu : car il ne s’agissait pas d’un jeu, mais d’une matrice pour jouer dans un univers qui restait entièrement à créer. Pas vraiment un jeu, mais un outil pour créer mon monde et faire tout et n’importe quoi et surtout bidouiller les règles dans tous les sens, créer des règles maison, créer des règles spéciales pour simuler les aspects originaux du monde dans lequel les personnages allaient vivre leurs aventures. Un jeu qui comportait 450 pages mais qui n’était qu’une feuille vierge ?! Non, pas une feuille vierge, mais une matrice à noircir des feuilles vierges en stimulant mon imaginaire, un outil qui me disait : fais ce que tu veux, transforme moi autant que tu le veux et amuse-toi. Surtout amuse-toi.
Quoi, la SRD n’a qu’un seul don ?! Quoi, pas de règles de créations de personnage ?! C’est nul !? Non, c’est juste la quintessence de D&D, une matrice à créer encore plus exigeante vis-à-vis de son créateur, une machine brute qui ne demande qu’à être polie, des règles qui ne demandent qu’à évoluer. La SRD est une magnifique invitation à créer, à s’emparer de l’usine pour forger son univers, d’innombrables univers. Mais il faut du temps. Et ce temps que j’avais lorsque j’étais étudiant, je ne l’ai plus maintenant, ce que je regrette. Mais pour tous ceux qui ont du temps, quelle aubaine, quelle merveilleuse invitation à agiter son imaginaire pour en extirper le monde de ses rêves… ou de ses cauchemars ! C’est en ce sens que cette stricte traduction de la SRD, à un prix dérisoire pour 3 livres en couleur et à couverture rigide maintenant que le palier des 16.000 euros est franchi (49 euros !!), est une proposition extrêmement intéressante pour tous ceux qui jouissent de ce temps si précieux.
La proposition de BBE vise plutôt ceux qui, comme moi, n’ont pas ce temps à eux, et qui souhaitent un jeu prêt à l’usage, complété des dons, conseils de jeu, etc. qui ne sont pas présents dans la SRD. C’est plus cher, mais on aura trois livres enrichis de l’équivalent de ce qui a été retranché du contenu de la 5e édition de Dungeons & Dragons pour aboutir à la SRD. De plus, BBE propose une édition de poche à 15 euros de son manuel des joueurs (et possiblement des deux autres tomes si le financement grimpe encore plus haut), qui plus est potentiellement en couleur si les 100.000 euros sont atteints. Idée que je trouve géniale, tout autant que la volonté d’Agate de ramener le JDR en librairie. Lorsque j’étais encore un gosse, je me ruais dès que possible dans la galerie marchande du centre commercial Ulis2 pour aller rêver dans ma librairie préférée devant les grosses boîtes de JDR. C’est là que j’ai acheté Maléfices et l’Appel de Cthulhu v1, Runequest et ma sœur le Guide de Campagne des Royaumes Oubliés (oui, à l’époque je trouvais les RO vachement bien !). Je rêve encore de cette librairie et revoir du JDR trôner en bonne place à côté des livres me ferait un plaisir immense !
Tout ça pour dire que :
1 – Dungeons & Dragons 5 était particulièrement attendu, notamment par les fans de la première heure
2 – Les projets d’Agate et de BBE sont à mon sens complémentaires, bien ficelés tous les deux visant deux publics plutôt distincts – ceux qui ont le temps vs ceux qui en ont moins - ainsi que les collectionneurs complétistes et les amateurs de belles illustrations.
Personnellement, je suis enchanté par cette résurrection (double) que je n’attendais plus et dont je me réjouis malgré le manque de place où ranger mes nouvelles acquisitions…
"La masse ténébreuse du Boischandelles se dressait contre l’horizon tel un mur de nuit. Derrière lui, les moutonnements sombres des collines se mêlaient aux vallées envahies par l’ombre." (
La Vieille Tour)